Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/586

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en plus au fond des orbites noires, tandis que la face entière se desséchait, vieillissait à vue d’œil, envahie d’une ombre grise, couleur de la terre. Depuis un instant, accablé, il avait fermé les yeux, il n’avait de vivants que les souffles oppressés, pénibles et longs, qui soulevaient sa poitrine. Et, debout, penchée sur ce pauvre visage d’agonisant, Benedetta se tenait là, souffrant sa souffrance, envahie par une telle douleur impuissante, qu’elle-même était méconnaissable, si blanche, si éperdue d’angoisse, comme prise elle aussi par la mort, peu à peu, en même temps que lui.

Dans l’embrasure de fenêtre où le cardinal Boccanera avait emmené le docteur Giordano, il y eut quelques mots échangés à voix basse.

— Il est perdu, n’est-ce pas ?

Le docteur, bouleversé également, eut un geste désolé de vaincu.

— Hélas ! oui. Je dois prévenir Votre Éminence que dans une heure tout sera fini.

Un court silence régna.

— Et, n’est-ce pas, de la même maladie que Gallo ?

Puis, comme le docteur ne répondait pas, tremblant, détournant les yeux :

— Enfin, d’une fièvre infectieuse ?

Giordano entendait bien ce que le cardinal lui demandait ainsi. C’était le silence, le crime enfoui, à jamais, pour le bon renom de sa mère l’Église. Et rien n’était plus grand, d’une grandeur tragique plus haute, que ce vieillard de soixante-dix ans, si droit encore et souverain, ne voulant pas que sa famille spirituelle pût déchoir, pas plus qu’il ne consentait à ce qu’on traînât sa famille humaine dans les inévitables salissures d’un procès retentissant. Non, non ! le silence, l’éternel silence où tout repose et s’oublie !

De son air doux de discrétion cléricale, le docteur finit par s’incliner.