Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/645

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— C’est vrai, j’avais perdu la foi, mais je croyais l’avoir retrouvée, dans la pitié que la misère du monde m’avait mise au cœur. Vous étiez mon dernier espoir, le Père, le sauveur attendu. Et voilà que c’est un rêve encore, vous ne pouvez être de nouveau Jésus, pacifier les hommes, à la veille de l’affreuse guerre fratricide qui se prépare. Vous ne pouvez laisser là le trône, venir par les chemins, avec les humbles, avec les pauvres, pour faire l’œuvre suprême de fraternité. Eh bien ! c’en est fini de vous, de votre Vatican et de votre Saint-Pierre. Tout croule sous l’assaut du peuple qui monte et de la science qui grandit. Vous n’êtes plus, il n’y a plus ici que des décombres.

Mais il ne prononça point ces paroles. Il s’inclina et dit :

— Saint-Père, je me soumets et je réprouve mon livre.

Sa voix tremblait d’un amer dégoût, ses mains ouvertes eurent un geste d’abandon, comme s’il avait lâché son âme. C’était la formule exacte de la soumission : Auctor laudabiliter se subjecit et opus reprobavit, l’auteur louablement s’est soumis et a réprouvé son œuvre. Rien ne fut d’un désespoir plus haut, d’une grandeur plus souveraine dans l’aveu d’une erreur et dans le suicide d’une espérance. Mais quelle affreuse ironie ! ce livre qu’il avait juré de ne retirer jamais, pour le triomphe duquel il s’était battu si passionnément, et qu’il reniait, qu’il supprimait lui-même tout d’un coup, non parce qu’il le jugeait coupable, mais parce qu’il venait de le sentir inutile et chimérique comme un désir d’amant, un rêve de poète. Ah ! oui, puisqu’il s’était trompé, puisqu’il avait rêvé, puisqu’il ne trouvait là ni le Dieu, ni le prêtre qu’il avait voulus pour le bonheur des hommes, à quoi bon s’entêter dans l’illusion d’un impossible réveil ! Plutôt jeter son livre à la terre comme une feuille morte, plutôt le renier, le retrancher de lui, tel qu’un membre mort, désormais sans raison ni usage !