Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/676

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de sa révolte, devant le cardinal en larmes et ces deux tristes amants foudroyés à sa place.

Pierre, croyant que le cardinal Sanguinetti était toujours le candidat secret du prélat, restait quand même tourmenté par l’idée de savoir jusqu’où allait la complicité morale de ce dernier, dans l’exécrable aventure. Il reprit la conversation.

— On dit Sa Sainteté fâchée avec Son Éminence le cardinal Sanguinetti. Naturellement, le pape régnant ne peut voir d’un très bon œil le pape futur.

Monsignor Nani s’égaya un instant, en toute franchise.

— Oh, le cardinal s’est fâché et raccommodé trois ou quatre fois avec le Vatican. Et, en tout cas, le Saint-Père n’a pas à montrer de jalousie posthume, il sait qu’il peut faire un très bon accueil à Son Éminence.

Puis, il regretta d’avoir exprimé ainsi une certitude, il se reprit.

— Je plaisante, Son Éminence est tout à fait digne de la haute fortune qui l’attend peut-être.

Mais Pierre était fixé, le cardinal Sanguinetti n’était certainement plus le candidat de monsignor Nani. Sans doute le trouvait-il trop usé par son ambition impatiente, trop dangereux aussi par les alliances équivoques qu’il avait conclues, dans sa fièvre, avec tous les mondes, même avec la jeune Italie patriote. Et la situation s’éclairait, le cardinal Sanguinetti et le cardinal Boccanera s’entre-dévoraient, se supprimaient l’un l’autre : l’un sans cesse en intrigues, ne reculant devant aucun compromis, rêvant de reconquérir Rome par la voie des élections ; l’autre immobile et debout dans son intransigeance, excommuniant le siècle, attendant de Dieu seul le miracle qui devait sauver l’Église. Pourquoi ne pas laisser les deux théories, ainsi mises face à face, se détruire, avec ce qu’elles avaient d’extrême et d’inquiétant ? Si Boccanera avait échappé au poison, il n’en était pas moins atteint par la tragique aventure, désormais impossible comme