Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/704

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En haut, ce ne fut pas Batista, l’ancien soldat si dévoué à son maître, qui vint ouvrir, mais un tout jeune homme que Pierre ne remarqua point d’abord. Et ce dernier retrouva la petite chambre toute nue, toute blanche, tapissée simplement d’un papier clair, à fleurettes bleues, avec son pauvre lit de fer derrière un paravent, ses quatre planches contre un mur, servant de bibliothèque, sa table de bois noir et ses deux chaises de paille, pour tout mobilier. Et, par la fenêtre large et claire, sans rideaux, c’était le même admirable panorama de Rome, toute Rome jusqu’aux arbres lointains du Janicule, une Rome écrasée, ce jour-là, sous un ciel de plomb, envahie d’une ombre de morne tristesse. Mais le vieil Orlando, lui, n’avait pas changé, avec sa tête superbe de vieux lion blanchi, au mufle puissant, aux yeux de jeunesse, étincelant encore des passions qui avaient grondé dans cette âme de feu. Pierre le retrouvait sur le même fauteuil, près de la même table, encombrée par les mêmes journaux, les jambes enveloppées, ensevelies dans la même couverture noire, comme si ces jambes mortes l’eussent immobilisé là dans une gaine de pierre, à ce point qu’à des mois, à des années de distance, on était sûr de l’y revoir sans nul changement possible, avec son buste vivant, sa face qui éclatait de force et d’intelligence.

Cependant, par cette journée grise, il paraissait abattu, le visage assombri.

— Ah ! vous voici, cher monsieur Froment. Depuis trois jours, je songe à vous, je vis les atroces jours que vous avez dû vivre, dans ce tragique palais Boccanera. Mon Dieu ! quel épouvantable deuil ! J’en ai le cœur retourné, ces journaux viennent encore de me bouleverser l’âme, avec les nouveaux détails qu’ils donnent.

Il indiquait les journaux épars sur la table. Puis, il écarta d’un geste la sombre histoire, cette figure de Benedetta morte, qui le hantait.

— Voyons, et vous ?