Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/708

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du seul besoin de jouir en ne faisant rien, inintelligente au point de ne pas voir qu’elle tue son pays par son dégoût du travail, son mépris du peuple, sa passion unique de vivre petitement au soleil, avec la gloriole d’appartenir à une administration quelconque… Et cette aristocratie qui se meurt, ce patriciat découronné, ruiné, tombé à l’abâtardissement des races finissantes, le plus grand nombre réduits à la misère, les autres, les rares qui ont gardé leur argent, écrasés sous les impôts trop lourds, n’ayant plus que des fortunes mortes, incapables de renouvellement, diminuées par les continuels partages, destinées à bientôt disparaître, avec les princes eux-mêmes, dans l’écroulement des vieux palais, devenus inutiles… Et le peuple enfin, ce pauvre peuple qui a tant souffert, qui souffre encore, mais qui est tellement habitué à sa souffrance, qu’il ne paraît seulement pas concevoir l’idée d’en sortir, aveugle et sourd, poussant les choses jusqu’à regretter peut-être l’ancienne servitude d’un accablement stupide de bête sur son fumier, d’une ignorance totale, l’abominable ignorance qui est l’unique cause de sa misère, sans espoir, sans lendemain, sans cette consolation de comprendre que cette Italie, cette Rome, c’est pour lui, pour lui seul, que nous les avons conquises et que nous tâchons de les ressusciter, dans leur ancienne gloire… Oui, oui, plus d’aristocratie, pas encore de peuple et une bourgeoisie si inquiétante ! Comment ne pas céder parfois aux terreurs des pessimistes, de ceux qui prétendent que tous nos malheurs ne sont rien encore, que nous allons à des catastrophes bien plus terribles, comme si nous n’en étions qu’aux premiers symptômes de la fin de notre race, précurseurs de l’anéantissement final !

Il avait levé vers la fenêtre, vers la lumière, ses deux grands bras frémissants, et Pierre, très ému, se rappela ce geste de détresse suppliante, qu’il avait vu faire la veille au cardinal Boccanera, dans son appel à la puissance