Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/75

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Sa voix s’embarrassa un peu, elle venait de comprendre qu’elle devait parler du livre, la seule cause du voyage et de l’hospitalité offerte.

— Oui, c’est le vicomte qui m’a envoyé votre livre. Je l’ai lu, je l’ai trouvé très beau. Il m’a troublée. Mais je ne suis qu’une ignorante, je n’ai certainement pas tout compris, et il faudra que nous en causions, vous m’expliquerez vos idées, n’est-ce pas, monsieur l’abbé ?

Dans ses grands yeux clairs, qui ne savaient pas mentir, il lut alors la surprise, l’émoi d’une âme d’enfant, mise en présence d’inquiétants problèmes qu’elle n’avait jamais soulevés. Ce n’était donc pas elle qui s’était prise de passion, qui avait voulu l’avoir près d’elle, pour le soutenir, pour être de sa victoire ? Il soupçonna de nouveau, et très nettement cette fois, une influence secrète, quelqu’un dont la main menait tout, vers un but ignoré. Mais il était charmé de tant de simplicité et de franchise, chez une créature si belle, si jeune et si noble ; et il se donnait à elle, dès ces quelques mots échangés. Il allait lui dire qu’elle pouvait disposer de lui, entièrement, lorsqu’il fut interrompu par l’arrivée d’une autre femme, également vêtue de noir, dont la haute et mince taille se détacha durement dans le cadre lumineux de la porte grande ouverte du salon voisin.

— Eh bien ! Benedetta, as-tu dit à Giacomo de monter voir ? Don Vigilio vient de descendre, et il est seul. C’est inconvenant.

— Mais non, ma tante, monsieur l’abbé est ici.

Et elle se hâta de les présenter l’un à l’autre.

— Monsieur l’abbé Pierre Froment… La princesse Boccanera.

Il y eut des saluts cérémonieux. Elle devait toucher à la soixantaine, et elle se serrait tellement, qu’on l’eût prise, par-derrière, pour une jeune femme. C’était d’ailleurs sa coquetterie dernière, les cheveux tout blancs, épais et rudes encore, n’ayant gardé de noirs que les sourcils,