Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/113

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Les jours où les amants ne se rendaient pas à la Source, ils allaient en cabriolet à quelques kilomètres, puis laissaient leur voiture dans une auberge et battaient la campagne au hasard des routes. Ils choisissaient simplement les chemins les plus étroits, ceux qui devaient les conduire à l’inconnu. Lorsqu’ils avaient marché pendant des heures, entre deux haies de pommiers, sans rencontrer âme qui vive, ils étaient heureux comme des maraudeurs qui auraient échappé à l’œil du garde champêtre. Ces larges plaines normandes, grasses et monotones, leur semblaient être l’image de leurs tendresses tranquilles ; jamais ils ne se fatiguaient des mêmes horizons de prairies et de cultures. Souvent ils s’égaraient dans les terres, ils couraient les fermes. Madeleine adorait les animaux domestiques ; une couvée de poussins qui picoraient autour de leur mère gloussant et gonflant ses ailes, la faisait rire des après-midi entiers ; elle entrait dans les étables pour caresser les vaches ; les jeunes chevreaux bondissants la ravissaient ; tout le petit monde d’une basse-cour la retenait, lui donnait des envies folles d’avoir chez elle des poules, des canards, des pigeons, des oies, et si le sourire de Guillaume ne l’avait retenue, elle ne serait jamais rentrée à Véteuil sans rapporter quelque bête dans ses jupes. Elle avait encore une passion, celle des enfants : dès qu’elle en apercevait un se roulant dans la cour d’une ferme, sur le fumier, au milieu des volailles, elle le regardait en silence, un peu pensive, avec un sourire attendri ; puis, comme attirée, elle s’approchait et prenait le marmot entre ses bras, sans se soucier de son visage barbouillé de terre et de confitures. Elle demandait du lait, gardant l’enfant jusqu’à ce qu’on l’eût servie, le faisant sauter, appelant son amant pour qu’il admirât les grands yeux de la chère créature. Quand elle avait bu, elle se retirait à regret, elle se retournait, regardait une dernière fois.

L’automne vint. Des nuées sombres couraient dans le ciel mort, poussées par des vents glacés ; la campagne