Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/143

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l’ombre de la vaste salle, la menacer d’un châtiment terrible, elle croyait, en ce moment, saisir des voix caressantes qui lui donnaient des assurances d’oubli et de félicité.

Quand la protestante arriva à ce verset : « Puis, Jésus dit à la femme : Tes péchés te sont pardonnés, » Madeleine eut un sourire de céleste joie. Elle sentait des larmes de remerciement lui monter aux yeux. Elle ne put s’empêcher de témoigner tout le bonheur qu’elle venait d’éprouver.

— C’est une belle histoire, dit-elle à Geneviève, je suis heureuse de l’avoir entendue… Vous me la lirez quelquefois.

La fanatique avait levé la tête ; elle regardait la jeune femme de son regard dur, sans répondre. Elle paraissait surprise et mécontente de son goût pour les poèmes tendres du Nouveau Testament.

— Que je préfère ce récit, continua Madeleine, aux pages cruelles que vous lisez le plus souvent ! Allez, le pardon est doux à accorder, doux à recevoir. La pécheresse et Jésus vous le disent.

Geneviève s’était levée. Elle se révolta aux accents émus de la jeune femme ; ses yeux prirent un éclat sombre ; puis, fermant la Bible bruyamment, elle cria de sa voix fatale :

— Dieu le Père n’aurait pas pardonné.

Cette parole terrible, pleine d’un fanatisme farouche, ce blasphème qui niait toute bonté, glaça Madeleine. Il lui sembla qu’un manteau de plomb lui retombait sur les épaules. Geneviève la repoussait brutalement dans l’abîme dont elle venait de sortir ; le ciel n’avait pas de pardon, elle était une sotte d’avoir rêvé la douceur de Jésus. Elle fut prise, à ce moment, d’un véritable désespoir. « Qu’ai-je à redouter ? pensait-elle, cette femme est folle. » Et, malgré elle, le pressentiment d’un coup qui l’aurait menacée, la faisait regarder autour d’elle d’un air inquiet. La vaste salle dormait dans la lueur jaune de la lampe, le feu luisait sur les briques de la cheminée. Tout ce qui