Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/153

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mon cher Guillaume, reprit Jacques avec un gros rire. Je mourrais dans ton air calme, j’aurais certainement un coup de sang avant la fin de la première année.

— Non, non, le bonheur fait vivre.

— Mais ton bonheur ne sera jamais le mien, enfant que tu es ! Cette demeure serait une tombe pour moi, ton amitié ne me sauverait pas de l’ennui écrasant de ces grandes pièces vides dont tu me parles… Je suis franc, je sais que nous ne pouvons nous fâcher.

Et comme il voyait Guillaume tout désolé de son refus :

— Je ne dis pas, continua-t-il, que je n’accepterai jamais ton hospitalité. Je viendrai vous voir, passer un mois avec vous de temps à autre. Je t’ai déjà demandé à m’installer chez toi l’été prochain. Mais, dès les premiers froids, j’irai me chauffer à Paris… M’enterrer ici sous la neige, ah ! mais non, mon brave !

Sa voix forte, sa gaieté sanguine blessaient le pauvre Guillaume qui ne pouvait se consoler de voir son cher rêve évanoui.

— Et que comptes-tu faire à Paris ? demanda-t-il.

— Je ne sais pas, répondit Jacques. Rien sans doute. Il y a assez longtemps que je travaille. Puisque mon oncle a eu l’excellente idée de me laisser des rentes, je vais vivre joyeusement au soleil. Oh ! je ne serai pas embarrassé de mon temps. Je mangerai bien, je boirai sec, j’aurai pour me désennuyer plus de belles filles que je n’en voudrais… Et voilà, mon cher garçon !

Il eut un nouvel éclat de rire. Guillaume hochait la tête.

— Tu ne seras pas heureux, dit-il. À ta place, je me marierais, je viendrais ici, dans cette retraite paisible où le bonheur est sûr. Entends ce grand silence qui nous environne, regarde la lueur paisible de cette lampe : c’est là ma vie. Dis-toi quelle existence douce tu mènerais dans ce calme parfait, si tu avais au cœur une tendresse, et que tu eusses devant toi, pour contenter cette tendresse, des jours, des mois, des années semblables, également tranquilles… Marie-toi et viens.