Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/207

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Elle frissonnait. Elle songeait, toujours, malgré elle, à cette pauvresse qui avait suivi leur voiture.

— Tu ne m’en veux pas trop de t’avoir amenée ici ? demanda de nouveau Guillaume. Nous dormirons sans doute fort mal, mais nous partirons de bon matin… Moi, je suis bien dans cette chambre. N’es-tu pas heureuse du grand calme et du grand silence qui nous environnent ?

Elle ne répondit pas, elle murmura :

— Cette femme m’a effrayée tout à l’heure, sur la route… Elle me regardait d’un air mauvais.

— Bon Dieu ! que tu es enfant, s’écria son mari. Tu avais peur de Geneviève, maintenant c’est une mendiante qui t’effraye. D’ordinaire, tu n’es pas poltronne cependant… Va, cette femme dort bien tranquillement au fond de quelque fossé.

— Tu te trompes, Guillaume. Elle nous a suivis, et je crois l’avoir vue entrer en même temps que nous dans cette auberge.

— Eh bien, c’est qu’elle venait demander à coucher dans l’écurie… Allons, calme-toi, Madeleine, dis-toi que nous sommes seuls, séparés du monde, au bras l’un de l’autre.

Il avait noué ses mains autour de sa taille et la tenait étroitement serrée contre sa poitrine. Elle restait morne et inerte sous son étreinte, regardant brûler les bûches d’un air soucieux, ne répondant pas au regard d’adoration qu’il levait sur elle. La flamme les éclairait tous deux d’un reflet rougeâtre. La bougie, posée sur un coin de la commode, ne faisait dans la grande pièce humide qu’une tache de lumière trouble.

— Comme tout est paisible ici, reprit doucement Guillaume. On n’entend pas un bruit, on peut se croire au fond de quelque solitude heureuse… N’est-ce pas ? on dirait un de ces anciens cloîtres où l’on s’oubliait pendant des vies entières, dans la monotonie du même son de cloche. Cette maison morte doit apaiser les fièvres du cœur.