Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/223

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un vieux camarade, rien de plus… J’ai attendu que monsieur ne fût plus là, et je me retirerai avant qu’il ne revienne… Est-ce le gros Raoul ?

Le gros Raoul était cet étudiant qui avait offert à Madeleine de se mettre en ménage avec lui, quelques minutes après le départ du chirurgien. Elle frissonna au nom de cet homme. La supposition que faisait Jacques, la possibilité d’une liaison entre elle et un de ses anciens amis la blessait profondément. « Si je lui disais tout ? » pensait-elle. Acculée, saignante, elle retrouvait l’énergie et la décision de son caractère ; elle allait, en quelques mots brefs, avouer la vérité à son premier amant, le supplier de ne jamais chercher à la revoir, lorsque celui-ci continua de sa voix joyeuse :

— Tu ne réponds pas ?… Bon Dieu ! comme tu es discrète !… Est-ce toi qui as choisi cette chambre ?… Tu te souviens de cette chambre, n’est-ce pas ?… Ah ! ma pauvre enfant, les belles et bonnes journées !… Sais-tu que tu joues un mauvais tour à ce monsieur en l’amenant ici ?

Il eut un gros rire. Madeleine, écrasée, le regardait d’un air de stupeur profonde.

— Je n’ai jamais été fat, ajouta-t-il, je crois que tu m’as parfaitement oublié… Cependant, je ne voudrais pas être à la place de ce monsieur… Là, entre nous, pourquoi diable as-tu choisi cette chambre ?… Tu ne réponds pas ? Nous nous sommes donc quittés fâchés ?

— Non, dit-elle d’un ton sourd.

Elle chancelait, elle s’appuyait à la cheminée pour ne pas tomber. Elle sentait qu’elle n’aurait plus le courage de parler ; jamais elle n’oserait nommer Guillaume, maintenant que Jacques avait ri de l’homme qui devait passer la nuit avec elle dans la chambre où ils s’étaient jadis aimés. Et il fallait encore qu’il la soupçonnât, par une brutale plaisanterie de viveur, d’avoir choisi cette chambre avec intention. Il lui semblait que son premier amant la rejetait d’un mot dans la boue dont elle n’aurait pas dû