Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/226

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par être un peu piqué de son attitude froide ; il continua brutalement :

— Va, tu peux m’avouer la vérité, je ne m’en fâcherai pas… Cela a dû être, ne dis pas non… Eh ! c’est la vie : on se prend, on se quitte, on se retrouve. Il n’y a pas de semaine où je ne rencontre quelque ancienne… Tu as tort de prendre la chose au tragique et de me traiter en ennemi… Tu étais si gaie, si insouciante !

Il la contemplait, il s’émerveillait de la revoir grasse et bien portante, dans l’épanouissement large de sa beauté.

— Tu as beau me faire la moue, dit-il en plaisantant, je te trouve embellie. Tu es devenue femme, Madeleine, et tu as dû être heureuse… Là, regarde-moi un peu : ah ! mes beaux cheveux roux, ma douce peau nacrée !

Il s’était rapproché, une lueur de désir passa dans ses yeux.

— Voyons, tu ne veux pas m’embrasser avant que je ne m’en aille ?

Madeleine se renversa pour échapper à ses mains qui se tendaient vers elle.

— Non, laissez-moi, je vous en prie, balbutia-t-elle d’une voix mourante.

Jacques fut frappé du désespoir qu’il y avait dans son accent. Il devint subitement sérieux ; le fond bon enfant de son caractère s’émut, il eut vaguement conscience qu’il venait d’être sans le vouloir brutal et cruel. Il fit en silence quelques pas vers la porte. Puis s’arrêtant et se retournant :

— Tu as raison, Madeleine, dit-il. Je suis un sot, j’ai eu tort de venir ici… Pardonne-moi mes rires comme je te pardonne ta froideur. Mais j’ai bien peur que tu n’aies ni cœur ni mémoire. Si tu aimes réellement cet homme, ne reste pas avec lui dans cette chambre.

Il parlait d’une voix grave, et elle retint des sanglots quand il lui montra les murs de la pièce d’un geste énergique.