Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/261

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leine se penchait sur la couche de la petite malade, il croyait voir une ombre se dresser au chevet de sa fille morte. Puis, lorsque Lucie se débattait au milieu du délire de la fièvre, il s’étonnait de l’entendre se plaindre encore, il s’imaginait assister à une agonie sans fin. Ce spectacle, sa femme vêtue d’un peignoir blanc, anxieuse et muette, courbée au-dessus de l’enfant frissonnante, dont il apercevait la face rouge, prenait, dans le grand silence de la nuit et dans la lueur indécise de la veilleuse, un air de poignante désolation. Il en resta accablé, terrifié jusqu’au matin.

Quand le médecin arriva, vers les neuf heures, il trouva Lucie dans un état très-alarmant. La maladie s’était déclarée, l’enfant avait la petite vérole. Dès ce moment, sa mère ne la quitta plus ; elle passa les journées à côté de son lit, se faisant monter ses repas, auxquels elle touchait à peine ; la nuit, elle sommeillait, une ou deux heures, sur une chaise longue. Pendant une semaine, Guillaume vécut dans une sorte d’hébétement ; il allait et venait de la chambre à la salle à manger, s’arrêtant au milieu des corridors pour réfléchir, sans pouvoir trouver une seule pensée au fond de son crâne vide. Mais ses nuits surtout étaient terribles : il se retournait vainement dans son lit il parvenait seulement à s’assoupir, vers le matin, d’un sommeil fiévreux, dont le tirait la moindre plainte de Lucie. Chaque soir, en se couchant, il craignait de la voir agoniser sous ses yeux. L’air de la chambre, où traînaient des odeurs de pharmacie, l’étouffait ; la pensée qu’une pauvre créature souffrait à son côté lui causait une continuelle angoisse en excitant ses sensibilités nerveuses. S’il avait pu lire nettement au fond de son trouble, il aurait pleuré de honte et de rage. À son insu, il s’irritait contre Madeleine qui semblait ne plus savoir qu’il existât, il lui en voulait de s’absorber dans le salut de cette enfant dont le visage les affolait. Peut-être la soignait-elle uniquement parce qu’elle ressemblait à Jacques ; elle voulait conserver sans cesse devant elle le portrait vivant de son