Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/294

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La veille de leur départ, le soir, ils firent une visite d’adieu aux de Rieu qu’ils n’avaient pas vus depuis quelque temps. Ils apprirent, à leur hôtel, que M. de Rieu était au plus mal. Ils allaient se retirer, lorsqu’un domestique vint leur dire que le vieillard les priait de monter. Ils le trouvèrent couché dans une grande chambre sombre. La maladie de foie dont il souffrait avait pris subitement un caractère aigu qui ne laissait aucun doute sur sa fin prochaine. Il avait d’ailleurs exigé de son médecin la vérité complète, afin de mettre, disait-il, certaines affaires en ordre avant de mourir.

Quand Guillaume et Madeleine entrèrent dans la vaste pièce, ils aperçurent Tiburce qui se tenait debout au pied de la couche du mourant, d’un air troublé. Au chevet, Hélène, assise dans un fauteuil, semblait être également sous l’émotion d’un coup imprévu. Les yeux du moribond allaient de l’un à l’autre, aigus comme des lames d’acier ; sa face jaune, atrocement creusée par la souffrance, gardait son sourire de suprême ironie ; ses lèvres avaient ce pli de cruauté qui les relevait légèrement, lorsqu’il jouissait des angoisses de sa femme. Il tendit la main aux jeunes époux ; il leur dit, lorsqu’il eut appris leur départ pour la Noiraude :

— Je suis heureux de pouvoir vous faire mes adieux… Je ne reverrai plus Véteuil…

Il n’y avait, d’ailleurs, aucun accent de regret dans sa voix. Le silence se fit, ce silence lugubre qui traîne autour du lit d’un mourant. Guillaume et Madeleine ne savaient comment se retirer. Tiburce et Hélène restaient immobiles et muets, en proie à une anxiété qu’ils ne cherchaient même pas à cacher. Au bout d’un instant, M. de Rieu qui paraissait goûter des délices profondes dans la vue du jeune homme et de sa femme, reprit brusquement, en s’adressant toujours aux visiteurs :

— J’étais en train d’arranger mes petites affaires de famille… Vous n’êtes pas de trop, et je vais me permettre de continuer… Je faisais connaître mon testament à notre