Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/296

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— Mon enfant, je suis habitué à vous regarder comme un fils, je veux faire votre bonheur. Je vous demande simplement, en échange de ma fortune, une tendre affection pour ma chère femme. Si elle est plus âgée que vous, vous trouverez en elle une aide et un soutien. Ne voyez dans ma détermination que mon vif désir de laisser deux heureux sur la terre. Vous me remercierez plus tard.

Puis, se tournant vers Hélène :

— Vous serez une mère pour lui, n’est-ce pas ? Vous avez toujours aimé la jeunesse. Faites un homme de cet enfant, empêchez-le de se perdre dans les hontes de Paris, poussez-le aux grandes choses.

Hélène l’écoutait avec une véritable terreur. Sa voix avait des inflexions si insultantes, qu’elle se demandait enfin si cet homme ne s’était pas aperçu de sa vie de débauches. Elle se rappelait ses sourires, ses sérénités dédaigneuses ; elle se disait que le sourd avait sans doute tout entendu, tout compris, et que c’était elle qui se trouvait être la dupe. L’étrangeté de son testament lui expliquait sa vie de mépris silencieux. Pour qu’il la jetât dans les bras de Tiburce, il devait connaître sa liaison et chercher à l’en punir. Ce mariage l’effrayait maintenant. Le jeune homme s’était montré si dur envers elle, il l’avait maltraitée avec une telle rage, le jour de leur rupture, que l’effroi de nouveaux coups faisait taire ses appétits charnels. Elle songeait en frissonnant à cette union qui la livrerait pour jamais à ses brutalités. Mais son corps lâche et amolli n’osait seulement pas rêver un instant d’échapper aux volontés de son amant. Il ferait d’elle ce qu’il voudrait. Passive, morne, elle écoutait le mourant, approuvant de la tête ce qu’il disait. Elle pensait pour se consoler : « Tiburce aura beau me battre, il y aura toujours des heures où je le tiendrai dans mes bras. » Puis elle réfléchit que le jeune homme courrait les filles avec l’argent de son premier mari, et que sans doute il refuserait même de lui apporter les restes de ses amours. Cette idée acheva de l’accabler.