Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/266

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mari furieux des choses qu’on entendait dans les tables d’hôte, la femme paisible et souriante, comme si elle ne comprenait pas.

Pour occuper l’après-midi, le ménage visita Guérande. Dans l’église Saint-Aubin, il faisait une fraîcheur délicieuse. Ils s’y promenèrent doucement, levant les yeux vers les hautes voûtes, sous lesquelles des faisceaux de colonnettes montent comme des fusées de pierre. Ils s’arrêtèrent devant les sculptures étranges des chapiteaux, où l’on voit des bourreaux scier des patients en deux, et les faire cuire sur des grils, tandis qu’ils alimentent le feu avec de gros soufflets. Puis, ils parcoururent les cinq ou six rues de la ville, et M. Chabre garda son opinion : décidément, c’était un trou, sans le moindre commerce, une de ces vieilleries du moyen âge, comme on en avait tant démoli déjà. Les rues étaient désertes, bordées de maisons à pignon, qui se tassaient les unes contre les autres, pareilles à de vieilles femmes lasses. Des toits pointus, des poivrières couvertes d’ardoises clouées, des tourelles d’angle, des restes de sculptures usés par le temps, faisaient de certains coins silencieux comme des musées dormant au soleil. Estelle, qui lisait des romans depuis qu’elle était mariée, avait des regards