Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/65

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— Encore vingt jours.

Un continuel combat l’agitait. Elle aurait voulu garder Frédéric auprès d’elle, et en même temps, à chaque heure, elle était tentée de lui crier : Va-t’en ! Pour elle, il était perdu ; jamais cette saison d’amour ne recommencerait, elle se l’était dit dès le premier rendez-vous. Même, un soir de sombre tristesse, elle se demanda si elle ne devait pas laisser tuer Frédéric par son père, pour qu’il n’allât pas avec d’autres ; mais la pensée de le savoir mort, lui si délicat, si blanc, plus demoiselle qu’elle, lui était insupportable ; et sa mauvaise pensée lui fit horreur. Non, elle le sauverait, il n’en saurait jamais rien, il ne l’aimerait bientôt plus ; seulement, elle serait heureuse de penser qu’il vivait. Souvent, elle lui disait, le matin :

— Ne sors pas, ne va pas en mer, l’air est mauvais.

D’autres fois, elle lui conseillait de partir.

— Tu dois t’ennuyer, tu ne m’aimeras plus… va donc passer quelques jours à la ville.

Lui, s’étonnait de ces changements d’humeur. Il trouvait la paysanne moins belle, depuis que son visage se séchait, et une satiété de ces amours violentes commençait à lui venir. Il regrettait