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LES ROUGON-MACQUART

vait invité personne, elle en était à peu près sûre.

— Cependant, ma fille, si tu les as invités, murmura Labordette, qui commençait à être pris de doute. Tu étais peut-être un peu gaie.

Alors, Nana se mit à rire. C’était possible, elle ne savait plus. Enfin, puisque ces messieurs étaient là, ils pouvaient entrer. Tous s’arrangea, plusieurs des nouveaux venus retrouvaient des amis dans le salon, l’esclandre finissait par des poignées de main. Le petit blond à l’air maladif portait un des grands noms de France. D’ailleurs, ils annoncèrent que d’autres devaient les suivre ; et, en effet, à chaque instant la porte s’ouvrait, des hommes se présentaient, gantés de blanc, dans une tenue officielle. C’était toujours la sortie du bal du ministère. Fauchery demanda en plaisantant si le ministre n’allait pas venir. Mais Nana, vexée, répondit que le ministre allait chez des gens qui ne la valaient certainement pas. Ce qu’elle ne disait point, c’était une espérance dont elle était prise : celle de voir entrer le comte Muffat, parmi cette queue de monde. Il pouvait s’être ravisé. Tout en causant avec Rose, elle guettait la porte.

Cinq heures sonnèrent. On ne dansait plus. Les joueurs seuls s’entêtaient. Labordette avait cédé sa place, les femmes étaient revenues dans le salon. Une somnolence de veille prolongée s’y alourdissait, sous la lumière trouble des lampes, dont les mèches charbonnées rougissaient les globes. Ces dames en étaient à l’heure de mélancolie vague où elles éprouvaient le besoin de raconter leur histoire. Blanche de Sivry parlait de son grand-père, le général, tandis que Clarisse inventait un roman, un duc qui l’avait séduite chez son oncle, où il venait chasser le sanglier ; et toutes deux, le dos tourné, haussaient les épaules, en demandant s’il était Dieu