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LES ROUGON-MACQUART

une grande lanterne transparente, où brûlaient violemment deux flammes de gaz. Dans un casier, des lettres, des journaux s’empilaient. Sur la table, il y avait des bouquets de fleurs, qui attendaient à côté d’assiettes sales oubliées et d’un vieux corsage dont la concierge refaisait les boutonnières. Et, au milieu de ce désordre de soupente mal tenue, des messieurs du monde, gantés, corrects, occupaient les quatre vieilles chaises de paille, l’air patient et soumis, tournant vivement la tête, chaque fois que madame Bron redescendait du théâtre avec des réponses. Elle venait justement de remettre une lettre à un jeune homme, qui s’était hâté de l’ouvrir dans le vestibule, sous le bec de gaz, et qui avait légèrement pâli, en trouvant cette phrase classique, lue tant de fois à cette place : « Pas possible ce soir, mon chéri, je suis prise. » La Faloise était sur une des chaises, au fond, entre la table et le poêle ; il semblait décidé à passer la soirée là, inquiet pourtant, rentrant ses longues jambes, parce que toute une portée de petits chats noirs s’acharnaient autour de lui, tandis que la chatte, assise sur son derrière, le regardait fixement de ses yeux jaunes.

— Tiens, c’est vous, mademoiselle Simonne, que voulez-vous donc ? demanda la concierge.

Simonne la pria de faire sortir la Faloise. Mais madame Bron ne put la contenter tout de suite. Elle tenait sous l’escalier, dans une sorte d’armoire profonde, une buvette où les figurants descendaient boire pendant les entr’actes ; et comme elle avait là cinq ou six grands diables, encore vêtus en chienlits de la Boule-Noire, crevant de soif et pressés, elle perdait un peu la tête. Un gaz flambait dans l’armoire ; on y voyait une table recouverte d’une feuille d’étain et des planches garnies de bouteilles enta-