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LES ROUGON-MACQUART

les chaises dépaillées de madame Bron, dans cette grande lanterne vitrée, où l’on cuisait et qui ne sentait guère bon. Fallait-il que ça tînt les hommes ! Clarisse remonta, dégoûtée ; elle traversa la scène, elle grimpa lestement les trois étages de l’escalier des loges, pour rendre réponse à Simonne.

Sur le théâtre, le prince, s’écartant, parlait à Nana. Il ne l’avait pas quittée, il la couvait de ses yeux demi-clos. Nana, sans le regarder, souriante, disait oui, d’un signe de tête. Mais, brusquement, le comte Muffat obéit à une poussée de tout son être ; il lâcha Bordenave qui lui donnait des détails sur la manœuvre des treuils et des tambours, et s’approcha pour rompre cet entretien. Nana leva les yeux, lui sourit comme elle souriait à Son Altesse. Cependant, elle avait toujours une oreille tendue, guettant la réplique.

— Le troisième acte est le plus court, je crois, disait le prince, gêné par la présence du comte.

Elle ne répondit pas, la face changée, tout d’un coup à son affaire. D’un rapide mouvement des épaules, elle avait fait glisser sa fourrure, que madame Jules, debout derrière elle, reçut dans ses bras. Et, nue, après avoir porté les deux mains à sa chevelure, comme pour l’assujettir, elle entra en scène.

— Chut ! chut ! souffla Bordenave.

Le comte et le prince étaient restés surpris. Au milieu du grand silence, un soupir profond, une lointaine rumeur de foule, montait. Chaque soir, le même effet se produisait à l’entrée de Vénus, dans sa nudité de déesse. Alors, Muffat voulut voir ; il appliqua l’œil à un trou. Au delà de l’arc de cercle éblouissant de la rampe, la salle paraissait sombre, comme emplie d’une fumée rousse ; et, sur ce fond neutre, où les rangées de visages mettaient une pâleur brouillée, Nana se détachait en blanc, grandie,