Page:Zola - Nana.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
224
LES ROUGON-MACQUART

nouveau dans un gâchis d’argent extraordinaire, près d’être exécuté à la Bourse, se cramponnant aux actionnaires des Salines des Landes, tâchant de leur faire suer un dernier versement. Quand il le rencontrait chez Nana, celle-ci lui expliquait, d’un ton raisonnable, qu’elle ne voulait pas le flanquer à la porte comme un chien, après ce qu’il avait dépensé pour elle. D’ailleurs, depuis trois mois, il vivait au milieu d’un tel étourdissement sensuel, qu’en dehors du besoin de la posséder, il n’éprouvait rien de bien net. C’était, dans l’éveil tardif de sa chair, une gloutonnerie d’enfant qui ne laissait pas de place à la vanité ni à la jalousie. Une seule sensation précise pouvait le frapper : Nana devenait moins gentille, elle ne le baisait plus sur la barbe. Cela l’inquiétait, il se demandait ce qu’elle avait à lui reprocher, en homme qui ignore les femmes. Cependant, il croyait contenter tous ses désirs. Et il revenait toujours à la lettre du matin, à cette complication de mensonge, dans le but si simple de passer la soirée à son théâtre. Sous une nouvelle poussée de la foule, il avait traversé le passage, il se creusait la tête devant un vestibule de restaurant, les yeux fixés sur des alouettes plumées et sur un grand saumon allongé dans une vitrine.

Enfin, il parut s’arracher à ce spectacle. Il se secoua, leva les yeux, s’aperçut qu’il était près de neuf heures. Nana allait sortir, il exigerait la vérité. Et il marcha, en se rappelant les soirées passées déjà en cet endroit, quand il la prenait à la porte du théâtre. Toutes les boutiques lui étaient connues, il en retrouvait les odeurs, dans l’air chargé de gaz, des senteurs rudes de cuir de Russie, des parfums de vanille montant du sous-sol d’un chocolatier, des haleines de musc soufflées par les portes