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NANA

lui passait de l’eau ou du sel, elle se penchait, le baisait au hasard des lèvres, sur les yeux, sur le nez, sur une oreille ; puis, si on la grondait, c’était avec des tactiques savantes, des humilités et des souplesses de chatte battue, qu’elle revenait, en lui prenant sournoisement la main pour la garder et la baiser encore. Il fallait qu’elle touchât quelque chose de lui. Fontan faisait le gros dos et se laissait adorer, plein de condescendance. Son grand nez remuait d’une joie toute sensuelle. Son museau de bouc, sa laideur de monstre cocasse s’étalaient dans l’adoration dévote de cette fille superbe, si blanche et si grasse. Par moments, il rendait un baiser, en homme qui a tout le plaisir, mais qui veut se montrer gentil.

— À la fin, vous êtes agaçants ! cria Prullière. Va-t’en de là, toi !

Et il renvoya Fontan, il changea le couvert pour prendre sa place, à côté de Nana. Ce furent des exclamations, des applaudissements, des mots très raides. Fontan mimait le désespoir, avec ses airs drôles de Vulcain pleurant Vénus. Tout de suite, Prullière se montra galant ; mais Nana, dont il cherchait le pied sous la table, lui allongea un coup, pour le faire tenir tranquille. Non, certes, elle ne coucherait pas avec lui. L’autre mois, elle avait eu un commencement de béguin, à cause de sa jolie tête. Maintenant, elle le détestait. S’il la pinçait encore, en feignant de ramasser sa serviette, elle lui jetterait son verre par la figure.

Cependant, la soirée se passa bien. On en était venu naturellement à causer des Variétés. Cette canaille de Bordenave ne crèverait donc pas ? Ses sales maladies reparaissaient et le faisaient tellement souffrir, qu’il n’était plus bon à prendre avec des pincettes. La veille, pendant la répétition, il avait gueulé tout