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NANA

froidies que les femmes laissaient là chaque soir.

Dans le corridor de droite, en effet, la porte de la loge se trouvait simplement poussée. Nana attendait. Cette petite Mathilde, un souillon d’ingénue, tenait sa loge très sale, avec une débandade de pots ébréchés, une toilette grasse, une chaise tachée de rouge, comme si on avait saigné sur la paille. Le papier, collé aux murs et au plafond, était éclaboussé jusqu’en haut de gouttes d’eau savonneuse. Cela sentait si mauvais, un parfum de lavande tourné à l’aigre, que Nana ouvrit la fenêtre. Et elle resta accoudée une minute, respirant, se penchant pour voir, au-dessous, madame Bron, dont elle entendait le balai s’acharner sur les dalles verdies de l’étroite cour, enfoncée dans l’ombre. Un serin, accroché contre une persienne, jetait des roulades perçantes. On n’entendait point les voitures du boulevard ni des rues voisines, il y avait là une paix de province, un large espace où le soleil dormait. En levant les yeux, elle apercevait les petits bâtiments et les vitrages luisants des galeries du passage, puis au-delà, en face d’elle, les hautes maisons de la rue Vivienne, dont les façades de derrière se dressaient, muettes et comme vides. Des terrasses s’étageaient, un photographe avait perché sur un toit une grande cage en verre bleu. C’était très gai. Nana s’oubliait, lorsqu’il lui sembla qu’on avait frappé. Elle se tourna, elle cria :

— Entrez !

En voyant le comte, elle referma la fenêtre. Il ne faisait pas chaud, et cette curieuse de madame Bron n’avait pas besoin d’entendre. Tous deux se regardèrent, sérieusement. Puis, comme il demeurait très raide, l’air étranglé, elle se mit à rire, elle dit :

— Eh bien ! te voilà donc, grosse bête !