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LES ROUGON-MACQUART

Personne n’en demandait, en effet ; on n’en parlait même pas. L’outsider de l’écurie Vandeuvres disparaissait dans la popularité de Lusignan. Mais la Faloise leva les bras en l’air, disant :

— J’ai une inspiration… Je mets un louis sur Nana.

— Bravo ! je mets deux louis, dit Georges.

— Moi, trois louis, ajouta Philippe.

Et ils montèrent, ils firent leur cour, plaisamment, lançant des chiffres, comme s’ils s’étaient disputé Nana aux enchères. La Faloise parlait de la couvrir d’or. D’ailleurs, tout le monde devait mettre, on allait racoler des parieurs. Mais, comme les trois jeunes gens s’échappaient, pour faire de la propagande, Nana leur cria :

— Vous savez, je n’en veux pas, moi ! Pour rien au monde !… Georges, dix louis sur Lusignan et cinq sur Valerio II.

Cependant, ils s’étaient lancés. Égayée, elle les regardait se couler entre les roues, se baisser sous les têtes des chevaux, battre la pelouse entière. Dès qu’ils reconnaissaient quelqu’un dans une voiture, ils accouraient, ils poussaient Nana. Et c’étaient de grands éclats de rire qui passaient sur la foule, lorsque parfois ils se retournaient, triomphants, indiquant des nombres avec le doigt, tandis que la jeune femme, debout, agitait son ombrelle. Pourtant, ils faisaient d’assez pauvre besogne. Quelques hommes se laissaient convaincre ; par exemple, Steiner, que la vue de Nana remuait, risqua trois louis. Mais les femmes refusaient, absolument. Merci, pour perdre à coup sûr ! Puis, ce n’était pas pressé de travailler au succès d’une sale fille qui les écrasait toutes, avec ses quatre chevaux blancs, ses postillons, son air d’avaler le monde. Gaga et Clarisse, très pincées, demandèrent à la Faloise s’il se fichait d’elles. Quand