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Page:Zola - Nana.djvu/400

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LES ROUGON-MACQUART


— Dis donc, explique-moi… Pourquoi la cote de ta pouliche monte-t-elle ? Ça fait un boucan !

Il tressaillit, il laissa échapper :

— Ah ! ils causent… Quelle race, ces parieurs ! Quand j’ai un favori, ils se jettent tous dessus, et il n’y en a plus pour moi. Puis, quand un outsider est demandé, ils clabaudent, ils crient comme si on les écorchait.

— C’est qu’il faudrait me prévenir, j’ai parié, reprit-elle. Est-ce qu’elle a des chances ?

Une colère soudaine l’emporta, sans raison.

— Hein ? fiche-moi la paix… Tous les chevaux ont des chances. La cote monte, parbleu ! parce qu’on en a pris. Qui ? je ne sais pas… J’aime mieux te laisser, si tu dois m’assommer avec tes questions idiotes.

Ce ton n’était ni dans son tempérament ni dans ses habitudes. Elle fut plus étonnée que blessée. Lui, d’ailleurs, restait honteux ; et, comme elle le priait sèchement d’être poli, il s’excusa. Depuis quelque temps, il avait ainsi de brusques changements d’humeur. Personne n’ignorait, dans le Paris galant et mondain, qu’il jouait ce jour-là son dernier coup de cartes. Si ses chevaux ne gagnaient pas, s’ils lui emportaient encore les sommes considérables pariées sur eux, c’était un désastre, un écroulement, l’échafaudage de son crédit, les hautes apparences que gardait son existence minée par-dessous, comme vidée par le désordre et la dette, s’abîmaient dans une ruine retentissante. Et Nana, personne non plus ne l’ignorait, était la mangeuse d’hommes qui avait achevé celui-là, venue la dernière dans cette fortune ébranlée, nettoyant la place. On racontait des caprices fous, de l’or semé au vent, une partie à Bade où elle ne lui avait pas laissé de quoi payer l’hôtel,