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NANA

gne. C’étaient des abandons brusques derrière son dos, du plaisir pris dans tous les coins, vivement, en chemise ou en grande toilette, avec le premier venu. Elle le rejoignait toute rouge, heureuse de ce vol. Avec lui, ça l’assommait, une corvée abominable !

Dans l’angoisse de sa jalousie, le malheureux en arrivait à être tranquille, lorsqu’il laissait Nana et Satin ensemble. Il l’aurait poussée à ce vice, pour écarter les hommes. Mais, de ce côté encore, tout se gâtait. Nana trompait Satin comme elle trompait le comte, s’enrageant dans des toquades monstrueuses, ramassant des filles au coin des bornes. Quand elle rentrait en voiture, elle s’amourachait parfois d’un souillon aperçu sur le pavé, les sens pris, l’imagination lâchée ; et elle faisait monter le souillon, le payait et le renvoyait. Puis, sous un déguisement d’homme, c’étaient des parties dans des maisons infâmes, des spectacles de débauche dont elle amusait son ennui. Et Satin, irritée d’être lâchée continuellement, bouleversait l’hôtel de scènes atroces ; elle avait fini par prendre un empire absolu sur Nana, qui la respectait. Muffat rêva même une alliance. Quand il n’osait pas, il déchaînait Satin. Deux fois, elle avait forcé sa chérie à le reprendre ; tandis que lui se montrait obligeant, l’avertissait et s’effaçait devant elle, au moindre signe. Seulement, l’entente ne durait guère, Satin était fêlée, elle aussi. Certains jours, elle cassait tout, crevée à moitié, s’abîmant à des rages de colère et de tendresse, jolie quand même. Zoé devait lui monter la tête, car elle la prenait dans les coins, comme si elle avait voulu l’embaucher pour sa grande affaire, ce plan dont elle ne parlait encore à personne.

Cependant, des révoltes singulières redressaient encore le comte Muffat. Lui qui tolérait Satin depuis