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LES ROUGON-MACQUART

cate, c’était avec ce rien honteux et si puissant, dont la force soulevait le monde, que toute seule, sans ouvriers, sans machines inventées par des ingénieurs, elle venait d’ébranler Paris et de bâtir cette fortune où dormaient des cadavres.

— Ah ! nom de Dieu ! quel outil ! laissa échapper Mignon dans son ravissement, avec un retour de gratitude personnelle.

Nana était peu à peu tombée dans un gros chagrin. D’abord, la rencontre du marquis et du comte l’avait secouée d’une fièvre nerveuse, où il entrait presque de la gaieté. Puis, la pensée de ce vieux qui partait dans un fiacre, à moitié mort, et de son pauvre mufe qu’elle ne verrait plus, après l’avoir tant fait enrager, lui causa un commencement de mélancolie sentimentale. Ensuite, elle s’était fâchée en apprenant la maladie de Satin, disparue depuis quinze jours, et en train de crever à Lariboisière, tellement madame Robert l’avait mise dans un fichu état. Comme elle faisait atteler pour voir encore une fois cette petite ordure, Zoé venait tranquillement de lui donner ses huit jours. Du coup, elle fut désespérée ; il lui semblait qu’elle perdait une personne de sa famille. Mon Dieu ! qu’allait-elle devenir, toute seule ? Et elle suppliait Zoé, qui, très flattée du désespoir de madame, finit par l’embrasser, pour montrer qu’elle ne partait pas fâchée contre elle ; il le fallait, le cœur se taisait devant les affaires. Mais ce jour-là était le jour aux embêtements. Nana, prise de dégoût, ne songeant plus à sortir, se traînait dans son petit salon, lorsque Labordette, monté pour lui parler d’une occasion, des dentelles magnifiques, lâcha entre deux phrases, à propos de rien, que Georges était mort. Elle resta glacée.

— Zizi ! mort ! cria-t-elle.