Page:Zola - Nana.djvu/501

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
501
NANA

Et son regard, d’un mouvement involontaire, chercha sur le tapis la tache rose ; mais elle s’en était allée enfin, les pieds l’avaient usée. Cependant, Labordette donnait des détails : on ne savait pas au juste, les uns parlaient d’une blessure rouverte, les autres racontaient un suicide, un plongeon du petit dans un bassin des Fondettes. Nana répétait :

— Mort ! mort !

Puis, la gorge serrée depuis le matin, elle éclata en sanglots, elle se soulagea. C’était une tristesse infinie, quelque chose de profond et d’immense dont elle se sentait accablée. Labordette ayant voulu la consoler au sujet de Georges, elle le fit taire de la main, en bégayant :

— Ce n’est pas lui seulement, c’est tout, c’est tout… Je suis bien malheureuse… Oh ! je comprends, va ! ils vont encore dire que je suis une coquine… Cette mère qui se fait du chagrin là-bas, et ce pauvre homme qui geignait ce matin, devant ma porte, et les autres ruinés à cette heure, après avoir mangé leurs sous avec moi… C’est ça, tapez sur Nana, tapez sur la bête ! Oh ! j’ai bon dos, je les entends comme si j’y étais : Cette sale fille qui couche avec tout le monde, qui nettoie les uns, qui fait crever les autres, qui cause de la peine à un tas de personnes…

Elle dut s’interrompre, suffoquée par les larmes, tombée de douleur en travers d’un divan, la tête enfoncée dans un coussin. Les malheurs qu’elle sentait autour d’elle, ces misères qu’elle avait faites, la noyaient d’un flot tiède et continu d’attendrissement ; et sa voix se perdait en une plainte sourde de petite fille.

— Oh ! j’ai mal, oh ! j’ai mal… Je ne peux pas, ça m’étouffe… C’est trop dur de ne pas être comprise,