Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/187

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Alors, au milieu de l’abominable tapage des Halles, je me suis souvenu de cette promenade que je fis avec toi, Ninon, il y a quelque dix ans. Le printemps naissait, les jeunes feuillages luisaient au blanc soleil d’avril. Le petit sentier qui suivait la côte était bordé de larges champs de violettes. Quand on passait, on sentait monter autour de soi une odeur douce qui vous pénétrait et alanguissait votre âme.

Tu t’appuyais sur mon bras toute pâmée, comme endormie d’amour par l’odeur douce. La campagne était claire, et il y avait de petites mouches qui volaient dans le soleil. Un grand silence tombait du ciel. Notre baiser fut si discret, qu’il n’effaroucha pas les pinsons des cerisiers en fleurs.

Au détour d’un chemin, dans un champ, nous vîmes des vieilles femmes courbées, qui cueillaient des violettes qu’elles jetaient dans de grands paniers. J’appelai une de ces femmes.

— Vous voulez des violettes ? me demanda-t-elle. Combien ?… une livre ?

Elle vendait ses fleurs à la livre ! Nous nous sauvâmes, désolés tous deux, croyant voir le Printemps ouvrir, dans l’amoureuse campagne, une boutique d’épicerie. Je me glissai le long des haies,