Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/128

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rouge sombre. Tout le torse pourrissait. Les jambes, plus fermes, s’allongeaient, plaquées de taches immondes. Les pieds tombaient.

Laurent regardait Camille. Il n’avait pas encore vu un noyé si épouvantable. Le cadavre avait, en outre, un air étriqué, une allure maigre et pauvre ; il se ramassait dans sa pourriture ; il faisait un tout petit tas. On aurait deviné que c’était là un employé à douze cents francs, bête et maladif, que sa mère avait nourri de tisanes. Ce pauvre corps, grandi entre des couvertures chaudes, grelottait sur la dalle froide.

Quand Laurent put enfin s’arracher à la curiosité poignante qui le tenait immobile et béant, il sortit, il se mit à marcher rapidement sur le quai. Et, tout en marchant, il répétait : « Voilà ce que j’en ai fait. Il est ignoble. » Il lui semblait qu’une odeur âcre le suivait, l’odeur que devait exhaler ce corps en putréfaction.

Il alla chercher le vieux Michaud et lui dit qu’il venait de reconnaître Camille sur une dalle de la Morgue. Les formalités furent remplies, on enterra le noyé, on dressa un acte de décès. Laurent, tranquille désormais, se jeta avec volupté dans l’oubli de son crime et des scènes fâcheuses et pénibles qui avaient suivi le meurtre.