Page:Zola - Travail.djvu/122

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« Est-ce qu’il n’est pas question d’une fête de charité à la sous-préfecture ? demanda doucement Suzanne à Châtelard. Si nous causions d’autre chose que de politique, voulez-vous ? »

Tout de suite, le sous-préfet, galant, fut de son avis.

« Mais certainement, nous sommes impardonnables… Je donnerai toutes les fêtes que vous voudrez, chère madame. »

Dès lors, la conversation se fragmenta, chacun revint à sa passion. L’abbé Marle s’était contenté d’approuver de légers signes de tête certaines déclarations de Delaveau, très prudent dans ce milieu, où le désolaient l’inconduite du maître de la maison, le scepticisme du sous-préfet et la formelle hostilité du maire, qui affichait des idées anticléricales. Ah ! quelle rancœur, cette société qu’il devait soutenir et qui finissait dans une telle débâcle ! Sa seule consolation était la dévote sympathie de la belle Léonore, sa voisine, occupée de lui seul, lui disant à demi-voix des mots gentils tandis que les autres discutaient. Sans doute celle-là aussi vivait dans la faute, mais elle s’en confessait ; et, déjà, il l’entendait, au tribunal de la pénitence, s’accuser d’avoir pris trop de plaisir, à déjeuner, assise à côté de son ami Châtelard, dont le genou sous la table, était amoureusement serré contre le sien. De même le bon Mazelle, oublié entre le président Gaume et le capitaine Jollivet, n’avait encore ouvert la bouche que pour avaler de fortes bouchées, qu’il mâchait lentement, dans la crainte des maux d’estomac. Les choses de la politique ne l’intéressaient plus depuis que, grâce à ses rentes, il était à l’abri des orages. Mais il devait prêter l’oreille aux théories du capitaine, heureux de se soulager avec cet auditeur bénévole. L’armée était l’école de la nation, la France ne pouvait être, d’après sa tradition immuable, qu’une nation guerrière, qui retrouverait seulement son équilibre, le jour où