Page:Zola - Travail.djvu/124

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Autour de la table, on crut qu’il plaisantait, et la stupeur de Mme  Mazelle était si comique à voir, que tous l’aidèrent. L’héritage supprimé, une pareille infamie ! L’argent gagné par le père, on l’arracherait aux enfants, on les condamnerait à gagner leur pain à leur tour ! Mais certainement, c’était la conséquence logique du collectivisme. Et, comme Mazelle effaré venait au secours de sa femme, en disant qu’il n’était pas inquiet, que toute sa fortune était en rentes sur l’État, que jamais on n’oserait toucher au grand-livre :

« C’est ce qui vous trompe, monsieur, reprit tranquillement Luc, on brûlera le grand-livre, on abolira la rente. La mesure est déjà résolue. »

Les Mazelle faillirent étouffer. La rente abolie ! cela leur paraissait aussi impossible que l’effondrement du ciel sur leur tête. Et ils étaient si éperdus, si terrifiés par cette menace du renversement des lois naturelles, que Châtelard eut la bonhomie moqueuse de les rassurer, en se tournant à demi vers la petite table, où, malgré le sage exemple de Paul, les deux fillettes, Nise et Louise, ne s’étaient pas trop bien conduites.

« Mais non, mais non, ce n’est pas encore pour demain, votre fillette a le temps de grandir et d’avoir des enfants à son tour… Ah ! seulement, on fera bien de la débarbouiller, car je crois qu’elle a mis sa figure dans la crème. »

On continuait à rire et à plaisanter. Tous, pourtant, avaient senti passer le grand souffle de demain, le vent de l’avenir, qui de nouveau soufflait au travers de la table, dont il balayait le luxe inique et les jouissances empoisonneuses. Et tous venaient au secours de la rente, du capital, de la société bourgeoise et capitaliste, basée sur le salariat.

« La République se suicidera, le jour où elle touchera à la propriété, dit Gourier, le maire.