Page:Zola - Travail.djvu/125

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— Il y a des lois, et tout croulerait, le jour où elles ne seraient plus appliquées, dit le président Gaume.

— En tout cas, fichtre ! l’armée est là qui veille et qui ne permettra pas le triomphe des coquins, dit le capitaine Jollivet.

— Laissez faire Dieu, il n’est que bonté et que justice », dit l’abbé Marle.

Boisgelin et Delaveau se contentèrent d’approuver, car c’était à leur secours que venaient toutes les forces sociales. Et Luc le comprit, c’était le gouvernement, l’administration, la magistrature, l’armée, le clergé, qui soutenaient encore la société agonisante, le monstrueux échafaudage d’iniquité, le travail meurtrier du plus grand nombre nourrissant la fainéantise corruptrice de quelques uns. Sa terrible vision de la veille continuait. Après avoir vu l’envers, il voyait la face de cette société en décomposition, dont l’édifice s’effondrait de toutes parts. Et même là, dans ce luxe, dans ce décor triomphant, il l’entendait craquer, il les sentait tous inquiets, s’étourdissant, courant à l’abîme, comme tous les affolés que les révolutions emportent. On servait le dessert, la table était couverte de crèmes, de pâtisseries, de fruits magnifiques. Pour achever de ragaillardir les Mazelle, lorsqu’on versa le champagne, on fit l’éloge de la paresse, de la divine paresse qui n’est point de cette terre. La vaste salle à manger, si gaie, était toute pleine de la douceur des grands arbres, et Luc réfléchissait, car il venait brusquement de comprendre la pensée dont il se sentait gros, l’affranchissement de l’avenir, en face de ces gens qui étaient l’autorité injuste et tyrannique du passé.

Après le café, qui fut servi dans le salon, Boisgelin proposa une promenade dans le parc, jusqu’à la Ferme. Pendant tout le déjeuner, il s’était prodigué auprès de Fernande, qui continuait à lui tenir rigueur, car elle lui avait refusé son pied sous la table, elle ne lui répondait