Page:Zola - Travail.djvu/130

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travail maudit, frappé de déshonneur, devenu une tare, ne nourrissant même pas l’esclave qu’on rivait à son métier manuel comme à une chaîne. Dans le village voisin, aux Combettes, la souffrance était certainement plus grande encore, des maisons sordides, une existence de bêtes domestiques nourries de soupe, les Lenfant avec leur fils Arsène et leur fille Olympe, les Yvonnot qui en avaient deux pareillement, Eugénie et Nicolas, tous au baquet immonde de la misère, aggravant leurs maux par leur rage à s’entre-dévorer.

Et Luc écoutait, regardait, évoquait cet enfer social, en se disant que la solution du problème était pourtant là, car le jour où toute une société nouvelle serait reconstruite, il faudrait bien en revenir à la terre, l’éternelle nourrice, la mère commune, qui, seule pouvait assurer aux hommes le pain quotidien.

En quittant la Ferme, Boisgelin dit à Feuillat :

« Enfin, vous réfléchirez, mon brave. La terre a gagné, il est juste que j’en profite.

— Oh ! c’est tout réfléchi, monsieur, répondit le fermier. J’aime autant crever de faim sur la route que chez vous. »

Au retour, lorsque ces dames et ces messieurs rentrèrent à la Guerdache, par un autre chemin du parc, plus solitaire et plus ombreux, de nouveaux groupes se formèrent. Le sous-préfet et Léonore s’attardèrent, se trouvèrent bientôt à la queue, très loin se contentant d’ailleurs de causer placidement, en vieux ménage tandis que Boisgelin et Fernande, qui s’étaient écartés peu à peu disparurent, comme s’ils s’étaient trompés de route, égarés par des sentiers perdus, tant leur conversation était vive. Du même pas tranquille, les deux maris, Gourier et Delaveau, avaient continué de suivre l’allée, en s’entretenant d’un article sur la fin de la grève, dans Le Journal de Beauclair, une feuille qui tirait à cinq cents exemplaires