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et que publiait un nommé Lebleu, petit libraire clérical, auquel l’abbé Marle et le capitaine Jollivet donnaient des articles. Le maire déplorait qu’on eût mis le bon Dieu dans l’affaire, bien qu’il approuvât avec le directeur de l’Abîme, ce chant de triomphe, où était célébrée, en style lyrique la victoire du capital sur le salariat. Et Luc, qui marchait près d’eux, ennuyé, las de les entendre, manœuvra de façon à se laisser distancer, puis se jeta sous bois, certain de toujours retrouver la Guerdache.

Quelle adorable solitude, dans ces taillis épais, où le tiède soleil de septembre pleuvait en une poussière d’or ! Quelque temps, il marcha au hasard, heureux d’être enfin seul, de respirer largement en pleine nature, comme soulagé du poids qui l’écrasait, depuis que tous ces gens pesaient sur son cerveau et sur son cœur. Il songeait pourtant à les rejoindre, lorsqu’il déboucha brusquement près de la route de Formeries, dans de vastes prés, au milieu desquels un petit bras de la Mionne alimentait une grande mare. Et la scène sur laquelle il tomba l’amusa beaucoup, lui fut à là fois un charme et un espoir.

C’était Paul Boisgelin, qui venait d’obtenir la permission d’amener jusque-là ses deux invitées, Nise Delaveau et Louise Gazelle, dont les trois ans avaient de trop petits pieds pour aller bien loin. Les bonnes, allongées sous un saule, bavardaient, ne s’occupaient même plus des enfants. Mais la grosse aventure était que le futur héritier de la Guerdache et les deux bourgeoises encore en bavette avaient trouvé la mare occupée par une invasion populaire, trois galopins conquérants qui devaient avoir escaladé un mur ou s’être glissés sous une haie. Luc, très surpris, reconnut Nanet, le chef, l’âme de l’expédition, suivi de Lucien et d’Antoinette Bonnaire, qu’il avait sûrement débauchés, entraînés si loin de la rue des