Page:Zola - Travail.djvu/168

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la tuyère, à l’aide de toute une manœuvre de la soufflerie, que M. Laroche employait parfois. Mais le cas était déjà trop grave, il m’a fallu démonter la tuyère et attaquer l’engorgement à coups de ringard. Ah ! ça n’a pas été commode, nous y avons laissé un peu de nos bras. Tout de même, l’air a fini par passer, et j’ai été plus content, lorsque, dans les laitiers de ce matin, j’ai trouvé des débris de minerai, car j’ai compris que l’accrochage avait dû se défaire, entraînant la chute de la voûte. Maintenant, tout s’est rallumé, le bon travail va reprendre son cours. D’ailleurs, nous allons savoir, la coulée nous dira où nous en sommes. »

Et, bien qu’épuisé par un si long discours, il ajouta, d’un ton plus bas :

« Je crois, monsieur Jordan, que je serais monté là-haut, pour me jeter dans le gueulard, si je n’avais pas eu ce soir de meilleures nouvelles à vous donner… Je ne suis qu’un ouvrier, un maître fondeur, en qui vous avez eu confiance, jusqu’à lui confier le poste d’un monsieur, d’un ingénieur ; et me voyez-vous laisser éteindre le fourneau et vous dire qu’il est mort, à votre retour !… Non, je serais mort avec lui ! Les deux nuits dernières, je ne me suis pas couché, j’ai veillé là comme je me souviens de l’avoir fait auprès de ma pauvre femme, lorsque je l’ai perdue. Et, je puis bien le dire maintenant, la soupe que vous m’avez trouvé en train de manger est la première que j’avale depuis quarante-huit heures, parce que j’avais l’estomac bouché, comme le fourneau… Ce ne sont pas des excuses, je désire simplement que vous sachiez à quel point je suis heureux de n’avoir pas trahi votre confiance. »

Il pleurait presque, ce grand gaillard durci par le feu, aux membres de vieil acier ; et Jordan lui serra les deux mains, affectueusement.

« Mon brave Morfain, je sais que vous êtes un vaillant,