Page:Zola - Travail.djvu/169

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et que, si un désastre était arrivé, vous auriez lutté jusqu’au bout. »

Petit-Da, debout dans l’ombre, avait écouté, sans intervenir d’un mot ni d’un geste. Et il ne remua que lorsque son père lui eut donné un ordre, pour la coulée. Dans les vingt-quatre heures, il y avait cinq coulées, distantes les unes des autres de cinq heures environ. Le train, qui pouvait être de quatre-vingts tonnes par jour, se trouvait à ce moment-là réduit et n’était que de cinquante tonnes, ce qui donnait encore des coulées de dix tonnes. Silencieusement, à la faible clarté des fanaux, les préparatifs venaient d’être faits, des rigoles et des panneaux de moules étaient creusés dans le sable fin, sous la grande halle. Il n’y avait plus qu’à faire évacuer les laitiers, et l’on voyait seulement les ombres lentes des ouvriers fondeurs passer parfois, s’activer sans hâte à des besognes obscures, indistinctes et vagues, tandis que, dans le silence lourd du dieu accroupi, dont le ventre incendié n’avait pas même un murmure, on n’entendait toujours que le petit ruissellement des gouttes d’eau qui lui tombaient des flancs.

« Monsieur Jordan, demanda Morfain, désirez-vous voir couler les laitiers ? »

Jordan et Luc le suivirent à quelques pas, sur un monticule, fait de débris amassés. Le trou de coulée se trouvait dans le flanc droit du haut-fourneau ; et, débouché déjà, il laissait échapper les laitiers en un de scories étincelant, comme si l’on eût écumé là la pleine chaudière du métal en fusion. C’était une bouillie épaisse, qui roulait lentement, qui allait tomber dans des wagonnets de tôle, pareille à une lave couleur de soleil, et tout de suite obscurcie.

« La couleur est bonne, n’est-ce pas ? monsieur Jordan, reprit Morfain, réjoui. Oh ! nous sommes hors d’affaire, c’est certain… Vous allez voir, vous allez voir ! »