Page:Zola - Travail.djvu/176

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définir. Était-ce donc le battement d’aile d’un oiseau, le frôlement d’un insecte dans les feuilles ? Il regarda, il ne vit rien que la houle de l’ombre, à l’infini. Sans doute il s’était trompé. Puis, le bruit recommença plus voisin. Intéressé, saisi d’une émotion dont il s’étonnait lui-même, il s’efforça de percer les ténèbres, il finit par apercevoir une forme vague, délicate et fine, qui semblait flotter à la pointe des herbes. Et il ne s’en expliquait pas la nature, il croyait à une illusion, lorsque, d’un léger saut de chèvre sauvage, une femme traversa la route et lui lança un petit bouquet, si adroitement, qu’il le reçut au visage, ainsi qu’une caresse. C’était un petit bouquet d’œillets de montagne, cueillis parmi les roches, et d’une odeur si puissante, qu’il en fut tout parfumé.

Josine ! il devina Josine, il la reconnut, à ce nouveau remerciement de son cœur, à ce geste adorable d’infinie gratitude ! Et cela était exquis, dans cette obscurité, à cette heure tardive, sans qu’il s’expliquât comment elle était là, si elle avait guetté sa rentrée, de quelle façon elle avait pu s’échapper et venir, Ragu peut-être étant d’une équipe de nuit. Déjà, sans une parole, n’ayant voulu que se donner avec ces fleurs un peu âpres, si gentiment lancées, elle noyait, elle se perdait dans les ténèbres de la lande inculte ; et il remarqua seulement alors une autre ombre, toute petite, Nanet sûrement, qui galopait près d’elle. Ils disparurent, il n’entendit plus de nouveau que les marteaux de l’Abîme, au loin, tapant en cadence. Son tourment n’était point fini, mais tout son cœur venait d’être réchauffé d’une force invincible. Il respira délicieusement le petit bouquet. Ah ! bonté qui est le lien fraternel, tendresse qui seule fait du bonheur, amour qui sauvera et qui refera le monde !