Page:Zola - Travail.djvu/178

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travers des rues noires de Beauclair, où piétinait le flot des misérables déshérités, rêvant sourdement de vengeance. C’était, chez les Bonnaire, la révolution raisonnée, organisée, fatale, tandis que le chômage serrait les ventres, affamait la famille, dans le pauvre logement froid et nu, où manquait le nécessaire. C’était, à la Guerdache, l’insolence du luxe pourrisseur, la jouissance empoisonneuse qui achevait de détruire la classe des privilégiés, cette poignée de bourgeois repus de paresse, gorgés jusqu’à l’étouffement des richesses iniques qu’ils volaient au labeur et aux larmes de l’immense majorité des travailleurs. C’était même, à la Crêcherie, à ce haut fourneau d’une noblesse sauvage, où pas un ouvrier ne se plaignait, le long effort humain comme frappé d’anathème, immobilisé en son éternelle douleur, sans l’espoir de l’affranchissement total de la race, délivrée enfin de l’esclavage, entrée toute dans la Cité de justice et de paix. Et il avait vu, il avait entendu Beauclair craquant de partout, car la lutte fratricide n’était pas qu’entre les classes, le ferment destructeur avait gagné les familles, un vent de folie et de haine passait, enrageait les cœurs. De monstrueux drames salissaient les foyers, culbutaient à l’égout les pères, les mères et les enfants. On mentait, on volait, on tuait. Au bout de la misère et de la faim, il y avait forcément le crime, la femme qui se vendait, l’homme qui tombait à l’alcool, la bête exaspérée qui se ruait pour satisfaire son vice. Et trop de signes effroyables annonçaient l’inévitable catastrophe prochaine, la vieille charpente allait s’écraser dans la boue et dans le sang.

Alors, épouvanté de ces visions de honte et de châtiment, pleurant de toute la tendresse humaine qui se lamentait en lui, Luc vit revenir, du fond des épaisses ténèbres, le pâle fantôme de Josine, avec son rire si doux, qui lui tendait les bras, en un touchant appel. Il n’y eut dès lors plus qu’elle, c’était sur elle que l’édifice vermoulu,