Page:Zola - Travail.djvu/196

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Il était quatre heures déjà, lorsque les trois convives quittèrent la Crêcherie. Jordan et Luc les accompagnèrent jusqu’aux premières maisons de la ville, pour marcher un peu. Puis, comme tous deux revenaient, au travers des terrains pierreux que Jordan laissait improductifs, celui-ci voulut faire un détour, dans le désir d’allonger la promenade et de passer chez Lange, le potier. Il l’avait laissé s’installer en un coin sauvage et perdu de son domaine, au-dessous même du haut fourneau, sans lui réclamer ni loyer ni redevance d’aucune sorte. Lange, ainsi que Morfain, s’était fait une demeure d’un trou rocheux, creusé par d’anciens torrents à la base des monts Bleuses, au flanc de la muraille géante que dressait le promontoire. Et il avait fini par construire trois fours, près du coteau où il prenait son argile ; et il vivait là sans Dieu ni maître, dans la libre indépendance de son travail.

« Sans doute, c’est un cerveau extrême, ajouta Jordan, que Luc interrogeait. Ce que vous m’avez dit, son éclat violent de la rue de Brias, l’autre soir, ne m’étonne pas de sa part ; et il a eu de la chance d’être relâché, car son affaire pouvait tourner fort mal, tant il se compromet. Mais vous ne vous imaginez pas combien il est intelligent et quel art il met dans ses simples pots de terre, bien qu’il soit sans instruction aucune. Il est né ici, d’ouvriers pauvres, orphelin à dix ans, forcé de servir les maçons, enfin apprenti potier, devenu son patron à lui-même, comme il le dit en riant, depuis que je lui ai permis de s’installer chez moi… Je m’intéresse surtout à ses essais sur les terres réfractaires, car vous savez que je cherche la terre qui résisterait le mieux aux terribles températures des fours électriques. »

Luc, ayant levé les yeux, aperçut, parmi les broussailles, l’installation de Lange, tout un campement de barbare, entouré d’un petit mur en pierres sèches. Et, comme, sur le seuil, une