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Et, maintenant, il traversait sa Cité naissante, les petites maisons blanches en train de pousser de toutes parts, parmi les verdures. Le constructeur de ville qui était en lui, goûtait une joie à chaque bâtisse nouvelle s’ajoutant aux premières, agrandissant le bourg né de la veille.

N’était-ce pas sa mission  ? Les choses et les êtres n’allaient-ils pas se lever, se grouper à sa voix  ? Il se sentait la force de commander aux pierres de les faire monter, s’aligner en logis humains, en édifices publics, ou il logerait la fraternité, la vérité, la justice. Sans doute, il ne faisait que semer encore, il n’en était qu’aux fondations, qu’aux tâtonnements du début. Mais, certains jours d’allégresse, il avait la vision de la ville future, et son cœur chantait dans sa poitrine.

La maison occupée par Ragu et Josine, une des premières construites, se trouvait près du parc de la Crêcherie, entre celle des Bonnaire et celle des Bourron. Luc traversait la chaussée, lorsqu’il aperçut de loin, à l’angle du trottoir, un groupe de commères, en grande conversation, et il reconnut bientôt Mme Bonnaire et Mme Bourron, qui semblaient donner des renseignements à Mme Fauchard, venue comme son mari, ce matin-là, pour savoir si l’usine nouvelle était le pays de cocagne dont on parlait. La voix aigre, le geste dur, Mme Bonnaire, la Toupe, ainsi qu’on la nommait, ne devait pas embellir le tableau, toujours rageuse et mécontente, n’arrivant à se faire du bonheur nulle part, tant elle gâtait sa vie et celle des autres. Elle avait d’abord paru heureuse que son mari trouvât du travail à la Crêcherie  ; mais, après avoir rêvé une part immédiate de gros bénéfices, elle s’enrageait maintenant d’avoir longtemps à attendre peut-être  ; et son grand grief était qu’elle n’arrivait même pas à s’acheter une montre, dont l’envie la torturait depuis des années. Babette Bourron, au contraire, sans cesse ravie, ne tarissait pas