Page:Zola - Travail.djvu/250

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sur les avantages de son installation, enchantée surtout que son mari ne lui revînt plus ivre avec Ragu. Et, entre les deux, Mme  Fauchard, plus maigre, plus malchanceuse et plus dolente que jamais, restait perplexe, penchant à croire tout perdu avec la Toupe, tellement elle était convaincue qu’il n’y avait plus de joie pour elle dans l’existence.

La vue de la Toupe et de la Fauchard, commérant ainsi, d’un air de détresse, fut désagréable à Luc. Sa belle humeur s’en trouva gâtée, car il n’ignorait pas tout le trouble que les femmes menaçaient de porter dans la future organisation de travail, de paix et de justice. Il les sentait toutes-puissantes, c’était par elles et pour elles qu’il aurait voulu fonder sa Cité, et son courage défaillait, quand il en rencontrait de mauvaises, hostiles ou simplement indifférentes, qui, au lieu d’être le secours attendu, pouvaient devenir l’obstacle, l’élément destructeur, capable de tout anéantir. Et il passa, saluant, tandis que les femmes se taisaient, la mine inquiète, comme prises en train de mal faire.

Lorsque Luc entra dans la petite maison des Ragu, il aperçut Josine, assise, qui cousait devant une fenêtre. Mais l’ouvrage était tombé sur ses genoux, elle restait perdue en une rêverie si profonde, qu’elle ne l’entendit même pas, les yeux au loin. Un instant, il la regarda, sans avancer davantage. Ce n’était plus la misérable fille battant le pavé, mourant de faim, mal vêtue, avec un pauvre visage de misère, embroussaillé de cheveux. Elle avait vingt et un ans, elle était adorable dans sa simple robe de toile bleue, de taille fine, mince et souple, sans maigreur. Et ses beaux cheveux cendrés, d’une légèreté de soie, étaient comme la floraison délicate de son délicieux visage, un peu allongé, aux yeux bleus rieurs, à la bouche petite, d’une fraîcheur de rose. Et elle se trouvait là dans son cadre, dans cette salle à manger, si propre,