Page:Zola - Travail.djvu/254

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Elle voulut de nouveau protester.

«  Oh  ! monsieur Luc, comment ne serais-je pas heureuse, lorsque vous avez tant fait pour moi  ?   »

Mais ses forces la trahirent, deux grosses larmes reparurent dans ses yeux, roulèrent sur ses joues.

«  Vous le voyez bien, Josine, vous n’êtes pas heureuse.

— Je ne suis pas heureuse, c’est vrai, monsieur Luc. Seulement, vous n’y pouvez rien, ce n’est pas votre faute. Vous avez été pour moi un bon Dieu, et que faire  ? si rien ne réussit à changer le cœur de ce malheureux… Il redevient méchant, il ne supporte plus Nanet, il a failli tout casser, ce matin, et il m’a battue, parce que l’enfant, disait-il, lui répondait mal… Laissez-moi, monsieur Luc, ce sont des choses qui me regardent, je vous promets de me faire le moins de peine que je pourrai.  » Sa voix était coupée de sanglots, tremblante, presque indistincte. Et lui, impuissant, se sentait envahi d’une tristesse croissante. Toute sa matinée heureuse finissait par en être obscurcie, il était comme glacé d’un souffle de doute, de désespérance, lui si brave dont l’espoir joyeux faisait la force. Lorsque les choses obéissaient lorsque le succès matériel semblait s’affirmer, il ne pourrait donc changer les hommes, développer dans les cœurs le divin amour, la fleur féconde de bonté, de solidarité  ? Si les hommes restaient dans la haine et dans la violence, son œuvre ne s’accomplirait pas, et comment les éveiller à la tendresse, comment leur enseigner le bonheur  ? Cette chère Josine, qu’il était allé chercher si bas, qu’il avait sauvée d’une si atroce misère, elle était pour lui l’image même de son œuvre. Tant que Josine ne serait pas heureuse, son œuvre ne serait point. Elle était la femme, la femme misérable, l’esclave, la chair à travail et à plaisir, dont il avait rêvé d’être le sauveur. C’était surtout par elle et pour elle, entre toutes les femmes, que la Cité future