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triomphe du vieux Beauclair ou de la Crêcherie, avant de s’engager à fond. Et, à leur table, où des sirops et des gâteaux étaient servis, les enfants, sans rien écouter de la bataille prochaine, fraternisaient comme un vol de gais oiseaux, lâchés en plein ciel, au libre avenir.

Tout Beauclair fut bouleversé, lorsqu’on y connut l’assignation de Laboque, cette demande de vingt-cinq mille francs, qui était l’ultimatum, la déclaration de guerre. Dès lors, il y eut un terrain de ralliement, les hostilités éparses se rencontrèrent, se groupèrent en une armée active, dont les forces entrèrent en campagne contre Luc et son œuvre, l’usine diabolique où se forgeait la ruine de la société antique et respectable. C’était l’autorité, la propriété, la religion, la famille, qu’il s’agissait de défendre. Beauclair entier finissait par en être, les fournisseurs lésés ameutaient leurs clients, la bourgeoisie suivait, dans sa terreur des idées neuves. Il n’était pas de petit rentier qui ne se sentît sous la menace d’un cataclysme effroyable, où s’effondrerait son étroite existence égoïste. Les femmes s’indignaient, se révoltaient, depuis que le triomphe de la Crêcherie leur était présenté comme celui d’un immense mauvais lieu, où elles seraient toutes au premier passant venu qui aurait le caprice de les prendre. Même les ouvriers, même les pauvres mourant de faim s’inquiétaient, commençaient à maudire l’homme dont le rêve ardent était de les sauver, et qu’ils accusaient d’aggraver leur misère, en rendant les patrons et les riches plus inexorables. Mais surtout ce qui empoisonnait, ce qui affolait Beauclair, c’était une violente campagne que menait le journal local, la petite feuille publiée chez l’imprimeur Lebleu. À cette occasion, le journal était devenu bi-hebdomadaire, et l’on soupçonnait le capitaine Jollivet d’être l’auteur des articles dont la virulence faisait sensation. L’attaque, d’ailleurs, se réduisait à un bombardement