Page:Zola - Travail.djvu/270

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occuper un emploi à la Crêcherie, ou il vivait près de Ma-Bleue, son amoureuse des nuits bleues. Il avait défendu qu’on prononçât en sa présence le nom de l’ingrat, déserteur de la bourgeoisie, passé à l’ennemi de toute sécurité sociale. Et, sans qu’il voulût le dire, ce départ de son fils aggravait son incertitude secrète, dans la crainte sourde ou il était de se trouver peut-être un jour forcé de le suivre.

«  Eh bien  ! dit-il à Châtelard, dès qu’il le vit entrer, le voilà qui arrive, ce procès. Laboque est revenu me voir, pour des certificats. Son idée est toujours d’engager la ville, et il est bien difficile de ne pas lui donner un coup de main, après l’avoir poussé comme nous l’avons fait.  »

Le sous-préfet se contenta de sourire.

«  Non, non  ! mon ami, écoutez-moi, n’engagez pas la ville… Vous avez été assez sage pour vous rendre à mes bonnes raisons, en ne faisant pas le procès et en laissant marcher ce terrible Laboque, qui a soif de vengeance et de massacre. Je vous en prie, continuez, restez simple spectateur, il sera toujours temps de profiter de sa victoire, s’il est victorieux… Ah  ! mon ami, si vous saviez tout le bénéfice qu’on trouve à ne se mêler de rien  !   »

Et, d’un geste, il compléta sa pensée, il dit toute la paix qu’il goûtait dans sa sous-préfecture, depuis qu’il s’y faisait oublier. Les choses allaient de mal en pis à Paris, l’autorité centrale s’effondrait un peu chaque jour, le temps était proche où la société bourgeoise devait s’émietter d’elle-même ou être emportée par une révolution  ; et lui, bon philosophe sceptique, demandait seulement à durer jusque-là, heureux de finir sans trop d’embarras, dans le nid tiède qu’il s’était choisi. Aussi toute sa politique se résumait-elle à laisser aller les faits, en s’en occupant le moins possible, convaincu du reste que le gouvernement, au milieu des difficultés où il