Page:Zola - Travail.djvu/271

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

agonisait, lui savait un gré infini d’abandonner la bête à sa belle mort, sans la tracasser davantage. C’était précieux, un sous-préfet dont on n’entendait jamais parler, dont l’effort intelligent avait supprimé Beauclair du souci gouvernemental. Et il réussissait très bien, on ne se souvenait de lui que pour le combler d’éloges, tandis qu’il achevait paisiblement d’enterrer la société mourante, en vivant son dernier automne aux genoux de la belle Léonore.

«  Vous entendez, mon ami, ne vous compromettez pas, car dans un temps comme le nôtre, on ne peut savoir ce qui arrivera demain. Il faut s’attendre à tout, le mieux est donc de ne s’exclure de rien. Laissez les autres courir les premiers et risquer de se casser les os. Vous verrez bien ensuite.  »

Mais Léonore entrait, vêtue de soie claire, comme rajeunie depuis qu’elle avait dépassé la quarantaine, d’une beauté blonde majestueuse, avec des yeux candides de dévote, dans son ménage à trois, accepté d’ailleurs de toute la ville. Et Châtelard lui prit la main, la baisa, galant comme au premier jour, installé là pour sa fin d’existence, pendant que le mari, l’air soulagé de devoirs trop lourds, les couvait d’un regard affectueux, en homme qui avait des compensations au-dehors.

«  Ah  ! tu es prête. Alors  ; nous partons, n’est-ce pas  ? Châtelard… Et, soyez tranquille, je suis prudent, je n’ai pas envie de me fourrer dans quelque bagarre, où nous laisserions notre tranquillité. Mais vous savez, tout à l’heure, chez les Delaveau, il va falloir dire comme les autres.  »

À la même heure, le président Gaume attendait chez lui sa fille Lucile et son gendre le capitaine Jollivet, qui devaient venir le prendre, pour se rendre tous les trois ensemble à ce déjeuner des Delaveau. Le président avait beaucoup vieilli en quatre années, il semblait devenu