Page:Zola - Travail.djvu/288

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de résoudre les plus fugitifs scrupules. L’auditoire écoutait sans trop comprendre, sans arriver à prévoir quelle serait la conclusion, tellement le pour et le contre défilaient, l’un après l’autre, en se serrant de près. Il semblait pourtant, à chaque nouveau pas, que la thèse de Luc était adoptée, l’absence de tort réel fait à autrui, le droit que tout propriétaire à d’exécuter des travaux chez lui, lorsque aucune servitude ne l’en empêche. Et le jugement éclata, Luc gagnait son procès.

Il y eut d’abord, dans la salle, un moment de stupeur. Puis lorsqu’on eut compris, ce furent des huées, des cris de violente menace. On retirait à la foule surexcitée, affolée de mensonges depuis des mois, la victime qu’on lui avait promise  ; et elle la voulait, elle la réclamait afin de la déchirer, puisqu’une justice, évidemment vendue, la lui enlevait au dernier moment. Luc n’était-il pas l’ennemi public, l’étranger venu on ne savait d’où pour corrompre Beauclair, pour y ruiner le commerce, y souiller la guerre civile, en ameutant les ouvriers contre les patrons  ? N’avait-il pas, dans un but de méchanceté diabolique, volé l’eau de la ville, tari un ruisseau, dont la disparition était un désastre pour les riverains. Ces accusations, Le Journal de Beauclair les répétait chaque semaine, les faisait entrer dans les crânes les plus épais, avec des commentaires empoisonnés, des besoins d’immédiates vengeances. De même, toutes les autorités tous les messieurs des quartiers bourgeois les colportaient parmi le petit peuple, les développaient, leur donnaient l’appui de leur pouvoir et de leur fortune. Et le petit peuple, mis à ce régime, aveuglé, enragé, convaincu qu’une peste allait sortir de la Crêcherie, voyait rouge, hurlait à la mort. Des poings se tendaient, les cris redoublaient  : «  À mort  ! à mort  ! le voleur, l’empoisonneur, à mort  !   » Très pale, la face rigide, le président Gaume était resté