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assis, au milieu du vacarme. Il voulut parler, faire évacuer la salle  ; mais il dut renoncer à être entendu. Et, simplement, par dignité, il dut se résoudre à suspendre l’audience, en se retirant, suivi des deux assesseurs et du procureur de la République.

Luc, souriant toujours, était très calme à son banc. Le jugement l’avait surpris autant que ses adversaires, car il n’ignorait pas dans quel air vicié vivait le président, il le croyait incapable de justices. Et c’était un réconfort, la rencontre d’un homme juste, parmi tant de déchéances humaines. Mais, lorsque les cris de mort éclatèrent, son sourire s’attrista, il se tourna vers la foule hurlante, le cœur envahi d’amertume. Que leur avait-il donc fait, à ces petits bourgeois, à ces marchands, à ces ouvriers  ? N’avait-il pas voulu le bien de tous, ne travaillait-il pas pour que tous fussent heureux, s’aimant, vivant en frères  ? Les poings le menaçaient, les cris le souffletaient, plus violents  : «  À mort  ! à mort  ! le voleur, l’empoisonneur, à mort  ! » Ce pauvre petit peuple ainsi égaré, rendu fou de mensonges, lui causait une douleur profonde, dans la tendresse qu’il avait quand même pour lui. Mais il retenait ses larmes, il voulait rester debout, courageux et fier sous l’insulte. Le public, qui se croyait bravé, aurait fini par briser les cloisons de chêne, si des gardes n’avaient enfin réussi à le pousser dehors et à fermer les portes. Le greffier, au nom du président Gaume, vint supplier Luc de ne pas sortir tout de suite, pour éviter un accident possible, et il obtint de lui qu’il s’arrêterait quelques minutes, chez le concierge du Palais, en attendant que la foule se dissipât.

Cependant, Luc éprouvait une sorte de honte, une révolte à être forcé de se cacher ainsi. Il passa, chez ce concierge, le quart d’heure le plus pénible de son existence, trouvant lâche de ne pas aller droit à la foule, n’acceptant pas cette situation de coupable inquiet qui lui était faite.