Page:Zola - Travail.djvu/290

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Et, quand les abords du Palais parurent déblayés, il n’écouta rien, il voulut partir, rentrer chez lui, tranquillement à pied, sans que personne l’accompagnât. Il était venu seul, il s’en retournerait seul. À la main, il n’avait qu’une canne légère, qu’il regrettait même d’avoir prise, par crainte qu’on ne le soupçonnât d’une pensée de défense. Lentement, il se mit donc en marche par les rues, ayant à traverser tout Beauclair, et personne ne sembla le remarquer, jusqu’à la place de la Mairie. Le public, qui sortait du tribunal, s’en était allé répandre dans la ville entière la nouvelle de sa victoire, après l’avoir attendu quelques minutes, certain qu’il ne sortirait pas avant des heures. Mais, sur la place de la Mairie, où se tenait le marché, Luc fut reconnu. Des gestes le désignèrent, des paroles coururent, quelques personnes même le suivirent, sans intentions mauvaises encore, uniquement pour voir ce qui se passerait. Il n’y avait guère là que des paysans, des acheteurs, des curieux, qui n’étaient pas engagés dans la querelle. Et la situation ne commença sérieusement à se gâter qu’au moment où il s’engagea dans la rue de Brias, à l’angle de laquelle, devant sa boutique, Laboque déchaîné, furieux de sa défaite, s’emportait au milieu d’un groupe.

Tous les marchands, tous les petits détaillants du voisinage, étaient accourus chez les Laboque, dès qu’ils avaient connu la désastreuse nouvelle. Eh quoi  ? c’était donc vrai, la Crêcherie allait achever de les ruiner, avec ses magasins coopératifs, puisque la justice lui donnait raison  ? Caffiaux, l’air atterré, gardait le silence, roulant des pensées qu’il ne disait pas. Mais Dacheux, le boucher était parmi les plus violents, le sang au visage, prêt à défendre la viande des riches, la viande sacrée  ; et il parlait de tuer le monde plutôt que de baisser ses prix d’un centime. Mme Mitaine n’était pas venue, elle n’avait jamais été pour le procès, elle déclaré bonnement