Page:Zola - Travail.djvu/291

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qu’elle vendrait son pain, tant qu’on le lui achèterait  ; puis qu’elle verrait ensuite. Et Laboque, enflammé, racontait pour la dixième fois, à un nouvel arrivant, l’abominable trahison du président Gaume, lorsque, tout d’un coup, il aperçut Luc, qui, très tranquille, passait devant la quincaillerie dont il consommait la ruine. Cette audace acheva de le bouleverser, il fut sur le point de se jeter sur lui, il gronda, à demi étouffé par le flot de sa haine  :

«  À mort  ! à mort  ! le voleur, l’empoisonneur, à mort  !   »

Quand il fut devant la boutique, Luc, sans s’arrêter, se contenta de tourner la tête, pour poser un instant son regard calme et brave sur le groupe tumultueux, d’où partaient les sourdes invectives de Laboque. Alors, tous se crurent provoqués, une clameur générale s’éleva, qui grandit, s’aggrava en un souffle de tempête  :

«  À mort  ! à mort  ! le voleur, l’empoisonneur, à mort  !   » Luc, d’ailleurs comme s’il ne s’était pas agi de lui, continuait paisiblement son chemin, en regardant à droite et à gauche, de l’air d’un passant que le spectacle de la rue intéresse. Presque tout le groupe s’était mis à le suivre, redoublant de huées, d’outrages, de menaces. «  À mort  ! à mort  ! le voleur, l’empoisonneur, à mort  !   »

Et cela ne cessa plus, cela grossit et déborda, à mesure qu’il montait la rue de Brias, de son pas de promenade. De chaque boutique, de nouveaux marchands sortaient pour se joindre à la manifestation. Des femmes se montraient sur les portes, huant au passage. Quelques-unes même, exaspérées, galopèrent, vinrent crier avec les hommes  : «  À mort  ! à mort  ! le voleur, l’empoisonneur à mort  !   »

Il en vit une jeune, d’une aimable beauté blonde, la femme d’un fruitier, qui l’injuriait à belles dents blanches, en le menaçant de loin de ses ongles roses, comme pour le déchirer. Des enfants couraient, eux aussi, et il y en avait un de cinq ou six ans pas plus grand qu’une botte, qui s’égosillait, qui se jetait presque